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Contes au soleil

A l'ombre du Micocoulier
Contes et nouvelles
par Philippe Mougins

 

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Micocoulier 2
Enterrement d'Emile



J'avais retrouvé le Docteur à l'enterrement de ce bon Emile que nous avions bien aimé. Sa bedaine rebondie, son cou modelé sur celui du plus beau taureau de sa manade, ses yeux bleus qui laissaient deviner une lointaine ascendance nordique, son appétit célèbre dans toute la Camargue, son sentiment généreux comme tous ceux qui ont la vigueur du muscle, en avaient fait un de ces hommes pas comme les autres, un mortel dont on ne pouvait imaginer qu'il put un jour, à l'image de tout un chacun, passer de cette terre de Camargue dans l'Autre Vie.


Pourtant aujourd'hui, après les prières au temple protestant, l'illustre Emile que d'aucuns appelaient « l'oncle », par une sorte de tendresse bien méritée, suivait à travers les prés la route plate qui menait au petit cimetière clos de murs, trop étroit pour accueillir un tel personnage.


L'entrée en est fermée par une grille surmontée d'une croix rouillée par le temps, une croix toute modeste, toute pauvre, toute branlante qui semble pour toujours bénir.

Une allée triste qui sent la fleur corrompue, la fleur qui meurt dans l'eau croupie. Et puis là-bas, au bout, en tournant à droite, le caveau près duquel trois croque-morts s'affairent.

Quelques mouchoirs sèchent les yeux rougis des femmes, les hommes ont cessé le bavardage qu'ils avaient entamé tout au long du cortège.

Le Pasteur est là pour la dernière prière.

Lorsque, tout à coup, sortant du caveau ouvert, une voix a retenti ; un bel accent provençal qui reprend, sans le savoir, le mot célèbre : « Coquin de Diou, que d'aigue ! »

Car, j'oubliais de vous dire que tout le sous-sol de Saint Martin et de la Camargue entière, c'est de l'eau. Il suffit de creuser un mètre pour tomber dons le deuxième élément.

Ce fut un moment de stupeur quand le croque-mort déclara péremptoirement « On peut pas le mettre en terre, y a trop d'eau » !!!

Et de fait, on entendait le clapotis des bottes de celui-ci qui à l'intérieur de la tombe, tentait maintenant d'en sortir.

La stupeur faisait place au chagrin, la consternation à l’angoisse du dernier adieu, quand tout-à-coup quelqu’un s’écria : « Ben, faut pompa ! Oh, le cabrier, va chercher les pompiers".

Le cabrier comprit ce qu'il fallait faire. Ce qui confondit le monde car chacun le savait peu apte à saisir sur l’instant !

On avait posé le cercueil du brave Emile à même devant le trou où il aurait enfin dû reposer. On attendait indécis, cherchant une contenance, n'osant pas élever la voix de peur de réveiller les morts que l'on imaginait allongés dans des cercueils flottant au gré des résurgences de l'immense Camargue.

Enfin, la pompe arriva et fut mise en action par trois vigoureux pompiers qui n'avaient oublié ni leur casque rutilant, ni leur ceinture rouge, ni leurs bottes.

On pompa longtemps, longtemps, mois en vain. On compris alors qu'il fallait renoncer à mettre Emile en terre ; il fallut se résoudre à le mettre à l'eau.

Le cercueil fit « plouf » ; un plouf bête et indécent mauvaise plaisanterie que nous faisait Emile : c'était bien la première de sa vie si l'on peut dire. Car jamais Emile n’avait plaisanté avec les choses essentielles comme la chasse, la table et la mort.

Nous sommes revenus, le Docteur Sénébier et moi vers Saint-Martin, avec une sorte de malaise triste. Le Docteur disait rien et pointait sa canne devant lui, les sourcils froncés et le lorgnon tombant. Il semblait mécontent aussi et l'on pouvait craindre un de ses accès de colère subite que tout Saint-Martin connaissait. Cet enterrement ou plutôt cette immersion d'Emile ne lui avait pas plu. Parfois, un grognement à mon adresse me faisait, comprendre le fond de sa pensée et de son coeur , je devinais et découvrais en lui le vieux philosophe à la fois bon enfant et bougon, tendre et rude, jovial et grave, galéjeur et profond, l’homme le plus près de l'homme, le plus amoureux de l'homme, plus humain de tous les hommes.

En arrivant chez lui, il me cita Sénèque et Marivaux, Platon et Rabelais, sans parler de la Mort qu'il connaissait chaque jour, en savait le sens et en devinait les secrets, car c'était la Vie pour lui que de mourir. Dans son jardin, sous le figuier, nous nous sommes assis. Après un moment de silence, le Docteur Sénébier s'écria : « allez Justine, sers nous le pastis » !!!









Philippe Mougins

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Publié le: 2005-07-15

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