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Contes au soleil

A l'ombre du Micocoulier
Contes et nouvelles
par Philippe Mougins

 

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Micocoulier 3
Justine



Justine nous a apporté le pastis, avec de l'eau bien fraîche, qu’elle était allée prendre Dieu sait où avec cette chaleur.


Ah! la bonne vieille Justine ! L'a-t-elle dorloté « son » Docteur Sénébier : « Mon Maître », comme elle disait.


Depuis 1906 ou 1907 qu'elle est au service du médecin de Saint-Martin, elle ne l'a pas quitté.


Elle est bien vieille maintenant : on ne saurait lui donner d’âge ; peut-être 80 ans, peut-être plus ; mais toute blanche et toute tordue qu'elle soit, elle n'en a pas moins gardé un coeur innocent et un effroyable mauvais caractère.

Le seul qui trouve grâce devant elle, c'est le Docteur. Elle l’a couvé toute sa vie. Et lorsque le bon Docteur Sénébier s'est marié, Justine ne vit dans la maîtresse que lui donnaient le Ciel et son Maître, qu'une sorte de rivale avec laquelle il faudrait tôt tard en découdre.

C'est dire que les rapports entre Madame Sénébier et Justine étaient parfois orageux. Au moins une fois l'an, Madame Sénébier donnait ses huit jours à Justine. C'était alors huit jours d'enfer cuisine était inmangeable et la cuisinière... imbuvable.

Mais en définitive, Justine restait et son triomphe lui donnait une charmante humeur pendant quelques semaines.

L'année qui précéda la mort de Madame Sénébier, fut particulièrement fertile en incidents.

Excédée, Madame Sénébier lui avait signifié son congé c'était de tradition, mais comme par le passé, Justine ne semblait guère se soucier de partir.

Madame Sénébier lui dit un jour

- Je pense, Justine, que vous avez trouvé une place et que vous partirez mercredi comme je vous l'ai dit.

- Ah, vous croyez ? répliqua Justine. Les jeunes eux-mêmes ne trouvent plus de travail. Comment voulez-vous que j’en trouve moi qui suis vieille ! Je suis bien ici, j'y reste.

Et voilà comment Justine resta une fois de plus.

Mais c'était la dernière fois qu'on la mettait à la porte l'année suivante, c'était Madame Sénébier qui s'en était allée…

 

Justine était simple et croyante. Bonne catholique, elle avait installé dans sa chambre une sorte d'oratoire de la Sainte Vierge et elle ne manquait jamais, lorsqu'elle passait devant la statue de Notre-Dame, de faire une révérence qui tenait de la génuflexion et du plongeon.

Chaque jour, elle apportait sur son petit autel quelques fleurs, ou à défaut quelques brins de tamaris, qui se desséchaient doucement.

Peut-être est-ce grâce à ces fleurs que Justine fut choisie pour recevoir le signe du bonheur ?

Dieu seul et la Vachette le savent.

Car l'histoire court toujours dans le village et personne n’a jamais su dire pourquoi et comment la vachette monta dans la chambre de Justine.

C'était le jour de la fête de Saint-Martin, dans ce plein de l'été qui vous fait craquer la cervelle comme les melons trop murs si vous avez le malheur de vous mettre à la « raio dou soule ».

Et le jour de la fête, il y a la Vachette ! Ce n'est pas "lou Biou", le taureau, c'est une jeune vache toute noire, comme le taureau qu'elle n'a pas encore connu.

Les jeunes garçons et filles sont allés la chercher dans la manade, aux prés du Cailar ou dans les marais. Ils lui ont passé au cou un licol fait d'une très longue corde pour aller la promener dans tout le village : on la laisse aller ; elle choisit son chemin : ella va où elle veut ; on ne la contraint pas ; mais tout au bout de la corde, il y a toute la jeunesse ! et dans la rue, tout Saint-Martin.

Chacun a laissé la porte de sa demeure ouverte : si la vachette entre chez vous, c'est du bonheur pour toute la vie.

Tout le monde crie, hurle, trépigne, on rit, on esquive un galop de la vachette, qui fonce sur un groupe, car elle est nerveuse la demoiselle !

Elle s'arrête, étonnée de n'avoir rien rencontré.

Elle tourne la tête vers ces gens qui se moquent d'elle, les regarde un moment de son oeil noir de sauvageonne, puis, dédaigneuse, repart à pas comptés, s'arrête devant une porte. Les hurlements redoublent, les bravos fusent mais elle, de nouveau arrogante, délaisse la porte et fait mine de foncer, cornes basses, entraînant derrière elle une grappe de jeunesse au bout de sa corde.

Brusquement la voilà arrêtée, la vachette, devant la porte de Justine. - Vé, que c'est pour Justine. Vé qu'elle y va. Vé, Vé ! crie-t-on.

Et de fait, la vachette y est allée. Elle est entrée d'abord dans la cuisine, a reniflé par terre.

Puis calmement, semblant avoir oublié sa colère passagère de tout-à-l'heure, elle a fait le tour du propriétaire pour voir si tout lui plaisait bien dans cette cuisine. Pour ça, il n'y avait rien à redire : elle était bien proprette, la cuisine de Justine, et elle sentait bon l'ail qui pendait au plafond et le fenouil et le basilic qui séchaient à la fenêtre.

Ça lui a plu à la vachette. La corde molle ne la gênait pas : elle alla vers le fond de la pièce : vous auriez fait de même si vous aviez été à sa place.

Au fond, il y avait l'escalier menant à la chambre de Justine un escalier qui s'offre comme cela à une vachette qui ne connaît que le plat des prés et l'eau des marais, c'est vraiment tentant.

Alors, la vachette monta l'escalier, tandis que dehors on riait à s'en faire éclater la rate.

Une fois dans la chambre, la vachette alla droit à l'oratoire, brouta trois fleurs que Justine venait d'y mettre, fit une profonde révérence à Notre-Dame et s'en revint par où elle était venue.

C'était... ? Oh ! Il y a bien longtemps, mais pour Justine, ce fut le plus beau jour de sa vie.

Car elle seule avait vu la vachette saluer sa Vierge. Elle le savait mieux que tout le monde, elle, puisqu'elle l'avait vue, je vous le dis.









Philippe Mougins

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Publié le: 2005-07-15

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