Interseagull.com




Navigation Intervia

. Accueil
pages associatives

. Accueil
pages Ginou


Navigation
· Accueil
· Archives
· Liens web
· Recherche
· Reportages
· Rubriques
· Sections
· Sondages

Thème
Sélectionnez


Recherche



Contactez-nous !

ginou@interseagull.com 
contactez-nous
 


Contes au soleil

A l'ombre du Micocoulier
Contes et nouvelles
par Philippe Mougins

 

pour lire cliquez

et découvrez peu à peu
les nouveaux épisodes


  
Micocoulier 4
Les figues du bon docteur



Le Docteur Sénébier était de fort méchante humeur et c'était ma foi, bien compréhensible.


D'abord, on l'avait réveillé en pleine nuit : Rigaud, le gros Rigaud qui avait épousé la mignonne Adèle, était venu tambouriner contre sa porte en criant :


« Venez vite, Docteur, le Petit a fait rouge. »


Pestant, le Docteur s'était levé et avait suivi Rigaud.


Mais ce « rouge » ce n'était pas l'enfant qui l'avait fait. C'était tout simplement un beau châle de laine dont on s'était servi pour emmailloter le gosse, qui avait déteint au premier pipi.


Le Docteur Sénébier avait d'abord éclaté de rire. Mais cette hilarité avait bientôt fait place à un fameux accès de colère dont on se souvient encore dans la famille Rigaud qui, cette nuit-là, fut vouée à tous les diables, aux taureaux de toutes les Camargues et proprement qualifiée de « famille d'imbéciles » et de « culs terreux ».


Le Docteur s'en était revenu en grommelant.


Et voilà, que ce matin en faisant le tour de son jardin, il venait de s'apercevoir qu'on lui avait volé ses figues.

Sur le beau figuier au fond du jardin, les figues mûres avaient disparu, cueillies Dieu sait par quelle main criminelle.

Vous voyez qu'il y avait de quoi être de méchante humeur.

Mais les humeurs du Docteur étaient changeantes comme celles des petits chevaux camarguais.

A midi, les figues volées étaient oubliées, il avait suffi de la perspective d'un bon repas chez les Rancoul pour enlever au Docteur Sénébier toutes les idées de vengeance qui lui étaient montées au cerveau et l'avaient fait devenir rouge comme une tomate bien mûre.

Le lendemain matin, tout de même, par acquit de conscience, il retourna voir son figuier.

« Coquin de pa Diou » hurla le Docteur, en arrivant sous l'arbre. Quel est le fils de caraque qui m'a encore volé mes figues. »

Le fait est qu’on s’était livré à une nouvelle cueillette nocturne.

Le Docteur Sénébier jura d'en avoir le coeur net, et, pour ce faire, décida de passer la nuit entière s'il le fallait, à guetter son voleur tout comme s'il était à « l'espère » pour la chasse au canard dans les marais.

Dès le soir, il fit mine d'aller se coucher mais revint vite s'embusquer derrière une fenêtre, volets clos donnant directement sous le figuier.

Fin septembre les soirées sont déjà fraîches et les parlottes sur les pas de portes, dans la rue pour prendre le « bon de l'air » deviennent rares, passé dix heures.

A onze heures, c'est le silence total : tout Saint-Martin dort, chacun chez soi.

C'est précisément parce que tout le monde dormait que ce sacripant de Reboulin ne dormait pas. Pourquoi ?... Tiens, pour aller voler les figues du Docteur Sénébier, pardi !

Le portail n'est jamais tout-à-fait fermé : il est facile d'entrer dans le jardin, et de là, en passant sur la droite pour ne pas faire de bruit, on arrive juste sous le figuier.

Le Docteur Sénébier, derrière ses persiennes, a reconnu ce bon à rien de Reboulin. Il a failli bondir pour le prendre sur le fait, mais se ravise, heureusement, car sinon l'histoire se serait terminée là.

Maintenant qu'il connaît l'amateur de figues, le Docteur va se coucher : demain, on s'amusera !

Le lendemain, le Docteur était d'humeur joviale. Il mûrissait son projet comme mûrissaient les figues qui seraient volées le soir même, il en était certain.

Sur les neuf heures, alors que tout était bien noir, on eût pu voir le Docteur Sénébier se livrer sans bruit à un étrange manège armé d'une seringue hypodermique, il piquait une à une les figues mûres prêtes pour son voleur.

Je ne saurais vous dire si l'injection fut pratiquée par la voie intramusculaire ou sous-cutanée, mais l'opération fut faite méthodiquement et apparemment sans souffrance pour chacune des malheureuses patientes.

La dernière figue piquée, le Docteur rentra silencieusement chez lui, un léger sourire aux lèvres, se coucha et s'endormit la conscience en paix.

Dans l'après-midi du lendemain, le Docteur Sénébier fut appelé chez Reboulin. Il trouva Marius au lit la mine défaite, les traits crispés, en proie à de violentes coliques.

Le Docteur l'examina longuement puis l'interrogea

- Qu'est-ce que tu as mangé hier soir et ce matin ?

- Oh ! pas grand-chose, Docteur, une soupe, quelques grotillons, je ne sais pas moi.

- Hum ! ce n'est pas ça qui a pu te faire mal. Des fruits pas mûrs, peut-être.

- Bé, quelques figues. Mais elles étaient bien mûres, au contraire.

- Des figues ! s'exclama le Docteur, faisant semblant sursauter.

- Oh ! quelques-unes seulement, répliqua Reboulin qui se sentait brusquement mal à l'aise devant l'exclamation du Docteur.

- Mais ces figues, d'où venaient-elles, à qui les as-tu achetées ? reprit le Docteur, d'une voix volontairement altérée.

- C'est que... c'est mon cousin qui... enfin... m'en a donné, bafouilla Reboulin.

- Tu es sûr qu’elles ne viennent pas de mon figuier Marius ?

- Pourquoi, Docteur ? gémit le malade.

- Parce que... Ah ! Mon Dieu, j'ai peut-être eu tort ! Mais que veux-tu, on me volait mes figues, alors...

- Elles sont si dangereuses à manger, Docteur ? pleurnicha Reboulin.

- Eh ! Qu'est-ce que ça peut te faire, puisque tes figues ne venaient pas de mon figuier.

- Mais si, c'est de vos figues que j'ai mangé, repleurnicha Marius.

- Oh ! Bonne Mère ! c'est donc toi le voleur !

- Oui, c’est moi… Mais c’est dangereux dites Docteur ?

- Si c'est dangereux ? Ah ! mon pauvre Marius, se lamenta le Docteur. Si c'est dangereux ?... En voyant mes beaux fruits disparaître chaque nuit, j'ai pensé qu'une bête quelconque venait les manger ; alors, je les ai piquées avec du poison ! J'étais à cent lieues de penser que c'était toi qui les mangeais, mes figues Mon pauvre Marius ! Oh ! mon pauvre Marius !

- Mais alors, Docteur, vous croyez que je vais mourir ?

- Avec ce poison, c'est hélas, une chose possible. Mais j'ai des remèdes plein mon sac. D'abord, parons au plus pressé.

Le Docteur Sénébier tira de sa trousse une seringue et par cinq fois, piqua les fesses de Reboulin. A chaque piqûre, Marius poussait un cri de douleur : le Docteur, lui se régalait.

Puis tâtant le pouls de Reboulin.

- Le pouls est bon : ce n'est pas mauvais signe, dit-il comme s'il se parlait à lui-même. Mais cela dépend du nombre de figues Chaque fruit de trop vaudrait une piqûre. Puis s'adressant à Reboulin qui tremblait à en faire vibrer les vitres.

- Combien de figues as-tu mangées ?

- Eh ! je ne sais pas, moi ! Peut-être dix, peut-être vingt.

- C'est qu'il me faudrait un compte juste. Voyons, cette nuit, combien en as-tu cueillies ?

- Oh ! pas plus de vingt, Docteur.

- Et la nuit d'avant ?

- Un peu plus, peut-être trente.

- Et la nuit précédente ?

- Il y en avait un plein cageot.

- Eh ! Eh

- C'est trop, n'est-ce pas ?

- C'est suffisant en tous cas : il va falloir employer les grands moyens. Tiens, tu vas boire un verre de cette potion. C'est un très efficace contre-poison.

Et le Docteur versa à Reboulin un verre d'une mixture qu'il avait composée le matin même : rhum, marc, pastis, vin blanc, cognac, à parts égales, le tout aromatisé de quelques gouttes d'éther officinal et étendu dans du Fernet-Branca !

Reboulin fit la grimace mais avala d'un trait. Le Docteur se mit alors en devoir de sortir tous les édredons, toutes les couvertures disponibles dans la maison afin d'en couvrir le malheureux Reboulin et fit mettre deux bouillottes bien chaudes au patient.

- Il faut le faire transpirer, répétait-il.

Mais Reboulin claquait des dents comme s'il avait été nu en plein milieu des glaces polaires.

Avant de partir, le Docteur administra encore une bonne dose de contre-poison et prescrivit qu'on en donne à Reboulin deux fois encore avant le soir.

Reboulin geignait et commençait à divaguer : l'alcool « contre-poison » faisait rapidement l'effet attendu par le Docteur Sénébier qui partit rempli d'aise.

Mais ce qu'il n'avait pas prévu c'est que Reboulin fut réellement malade : non pas que le purgatif injecté dans les figues ait été pour quelque chose dans l'affaire. Ce qui avait rendu malade le pauvre Marius ce fut la peur... et le contre-poison.

Il eut une crise de foie mémorable dont il sortit jaune comme un citron mais qu'il attribua au nombre de figues mangées et par conséquent, à la dose de poison.

Heureusement qu'il avait eu le bon Docteur Sénébier pour le soigner !

- Si le Docteur m'avait pas donné le contre-poison, disait-il et bé ! j'en aurais crevé !...









Philippe Mougins

Copyright © par Interseagull.com. Tous droits réservés.

Publié le: 2005-07-15

[ Retour ]
Copyright © 2002 by PHP-Nuke FRANCE. Tous droits réservés. PHP-Nuke est un logiciel libre sous licence GNU/GPL.
Page Générée en: 0.046 Secondes