Historique de l'Abbaye de Lérins
Date: 27 May 2004 à 20:03:30 CEST
Sujet: Histoire du Pays


Il est des lieux où Ie Ciel semble proche tant I'atmosphère est imprégnée d'éternité.
Lieux de cultes, de prières, de retraites, la recherche spirituelle, exigeante, exaltante, est la clé de cette émotion. L’abbaye de Lérins, sur l’île de Saint-Honorat dans la baie de Cannes, appartient à ces lieux rares : depuis seize siècles, des hommes y ont prié ont cherché leur chemin vers Dieu face au désert de Ia mer.



 

Car c'est bien le désert que les premiers moines, au début du Vème siècle, sont venus

trouver sur l'île.
Désert de sable ou désert de mer, c'est cette même quête qui possède ces hommes à la foi ardente, qui ont décidé de suivre la parole du Christ et de vivre selon elle : "Si tu veux être parfait vas, vends tout ce que tu possèdes, donne le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux, puis viens, et suis-moi." (Matthieu, 19,2l). Désert de sable, c'est en Egypte qu'est apparu le monachisme chrétien, à la fin du IIIème siècle : Saint Antoine, Saint Pachôme... la retraite de ces illustres précurseurs a pour vocation de vivre en plus parfaite communion avec Dieu.

Désert de mer, Saint Honorat et ses compagnons perpétuent cette tradition érémétique, cet élan premier.

 

La vocation de Saint Honorat a la force d'une destinée : fils d'une prestigieuse famille romaine (son père était consul à Trêves), il est de cette nouvelle dissidence, celle qui brise les carcans pour créer ses propres règles et choisir une autre façon d'être au monde. Il vend  ses biens, affranchit ses esclaves et, libre de n'être rien d'autre qu'un bâtisseur de la foi, il refuse les rôles que sa naissance lui avait assignés.

Il voyage en Orient en Grèce notamment, et en 405 arrive sur l'île de Lérins avec

le vieux moine Caprais et quelques compagnons.

 

L’évêque de Fréjus, Léonce les y accueille. La communauté que fonde Saint Honorat est à I'image de l’Eglise naissante forte d'une foi missionnaire qui bouleversera la monde romain.

 

Très vite, le monastère de Lérins rayonne sur toute la Provence, qui est le principal foyer de l'évangélisation de Ia Gaule. L’île devient une "pépinière d'évêques", dont les noms sont désormais liés au paysage : Saint Cassien, Saint Aygulphe, Saint Vallier...

Havre de spiritualité, I'Abbaye n'est pas épargnée par I'Histoire qui y est aussi âpre qu'ailleurs : guerrière, meurtrière, les soldats des garnisons côtoieront les hommes en robes de moine.

Cette longue traversée du temps a son témoin de pierre : le monastère fortifié, au bord extrême de l'île, face à I'horizon de la mer. Sa structure, complexe, est celle d'une tour refuge sans cesse agrandie et réaménagée, jusqu'à devenir une pièce majeure dans le dispositif militaire d'alerte  et de défense de la côte. L’effondrement définitif de l’Empire Romain a aboutit sur de longues périodes d'insécurité, et de violences.

 

Après une première époque de gloire sereine, l'Abbaye connaît les douloureux désordres des siècles obscurs du haut moyen-âge.

Saint Aygulphe, au VIIème siècle, se serait efforcé de ranimer la ferveur monastique en

substituant la règle de Saint Benoît aux règles propres qui avaient cours jusque là. Il aurait été tué et depuis, considéré comme un martyr. Les raids des "mauvais chrétiens" (sans doute des Sarrasins). dévastent Ia communauté : au VIIIème siècle, l’abbé Porcaire et ses moines sont massacrés, vers l047, après une autre attaque, des moines sont déportés jusqu'en Espagne. La tour refuge, noyau de la construction du monastère fortifié, est construite en 1073. Une autre tour, aux murs très épais, viendra doubler ses défenses, avant que d'autres bâtiments ne s’ajoutent pour former cet ensemble imposant où vibre jusque dans les ruines ouvertes sur le ciel et la mer, la prégnance d'une solitude mystique.

 

La communauté, isolée dans son cheminement spirituel, survit aux pillages, canonnades

et maniements d'armes. En 1300, Raymond Feraud, ancien troubadour devenu moine à

Lérins, écrit un long poème, un des plus beaux textes de la langue provençale, sur la

vie de Saint Honorat.

Les soldats, provençaux, français, ou espagnols, suivant les aléas de I'Histoire, habitent les étages supérieurs du bâtiment. Pour s'assurer d'un avant-poste stratégique dans la baie, ils n'hésitent pas à placer des batteries de canons sur les chapelles disséminées sur l'île.

Le déclin s'amorce à partir du XVIIème siècle, quand le régime de la commende est définitivement instauré, et en 1787, I’abbaye est fermée par Commission royale : il ne restait plus que quatre moines. En 1791, les Iles de Lérins sont déclarées "bien national". De cette époque belliqueuse, les 'fours à boulets rouges" sont les vestiges de violence.

 

En 1859, lle est rachetée par l'évêque de Fréjus, Monseigneur Jordany, et en 1869, des moines cisterciens de I'abbaye de Sénanque réintègrent l’île. En 1928, la nouvelle église centrale, Note Dame de Iérins est consacrée. Les moines de Sénanque ont renoué Ies liens invisibles avec les défricheurs de Ia foi du Vème siècle.

 

L’Abbaye d'aujourd'hui est sans doute proche du lieu où Saint Honorat et ses compagnons ont rédigé la première règle communautaire.

Le paysage de l'île a conservé sa beauté un peu sauvage, gorgée des effluves mêlées des pins et de Ia mer. La filiation spirituelle s'est transmise d'homme à homme, comme une chaîne vivante qui relie les moines à leurs prédécesseurs. Si la vie de Saint Honorat est brodée de légendes miraculeuses, comme celle qui raconte le raz de marée que Dieu envoya, sur ses prières, pour chasser les serpents de l'île, I'Histoire

retient Ie rôle éminent des communautés monastiques dans la sauvegarde d'une large

partie de la culture gréco-romaine. Saint Honorat et ses successeurs étaient des lettrés

dans un monde où la culture se délitait. Cela fut un atout majeur pour les premières communautés chrétiennes car ils les aidèrent à se structurer.

Cette tradition des moines de Lérins qui devinrent évêques. (Saint Honorat fut évêque d'Arles) est encore d'actualité : le précédent abbé, Dom Nicolas Aubertin est devenu récemment évêque de Chartres.

 

L’Histoire est dubitative quant au passage de St Patrick à Lérins, même si de nombreux irlandais viennent poser leurs pas dans ses empreintes imaginaires. Saint Benoît Biscop, qui fonda en Angleterre les premiers monastères, Jarrow et Wearmouth, fut moine à Lérins.

 

Les moines aujourd'hui, vivent selon la règle de Saint Benoît, dans une charité fraternelle ou le Frère Gilles et le Père Abbétravail de chacun subvient aux besoins de tous. Etre moine, ce n'est pas mépriser le monde. Frère Gilles, prieur de l'Abbaye, parle du sens ecclésial de la vie monastique, de I'abandon de I'orgueil, de la vanité et des valeurs néfastes à l'élévation de l'homme pour mieux se placer dans une perspective d'éternité. Mais il ne s'agit ni d'ignorer son temps, ni ses contemporains. "Soyez dans le monde, mais ne soyez pas du monde" dit Jésus.

Comme le monastère fortifié veillait avec un système de feux dans la nuit avec la tour du Suquet de Cannes,"le moine", dit Frère Gilles, "est celui qui veille", et, citant Isaïe, conclut::  "Sur tes remparts, Jérusalem, j'ai placé des veilleurs, de jour et de nuit jamais ils ne doivent se taire. Tenez en éveil la mémoire du Seigneur. "(Ch 62,v64)

 

Isabelle Phillips & Véronique Wilkin pour le texte et photos







Cet article provient de Interseagull.com
http://www.interseagull.com

L'URL de cet article est:
http://www.interseagull.com/modules.php?name=News&file=article&sid=70